« La transmission familiale n’a de sens que lorsque vous adoptez une vision de long terme dans la création de valeur »
Fondé en 1994 par Eric Duval, le groupe éponyme fête ses trente ans. A l’origine acteur indépendant de l’immobilier, il est devenu au fil des ans le premier acteur du golf en Europe, a fait d’Odalys – racheté en 2000 – le numéro 2 de la résidence gérée sur les marchés de l’hébergement touristique, affaires et étudiants, et est aussi le premier acteur français des retail parks low cost. A côté de ces activités, l’ETI accompagne des sociétés innovantes, en particulier des start-up, et gère à ce titre un ensemble de participations financières. Elle est aussi présente en Afrique, dans les domaines à fort impact sociétal comme dans la microfinance, l’assurance et les logements abordables, entre autres. Trois décennies de croissance, un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros, 6000 collaborateurs… Le fondateur et président du groupe s’est donné comme ambition de pérenniser la structure familiale. Sa fille Pauline est directrice générale, son fils Louis-Victor directeur général adjoint. Ils affichent une belle complicité et partagent un même mot, peu courant dans le business: le plaisir.
Vos activités vont de la promotion immobilière aux résidences touristiques, de la distribution de produits alimentaires à la microfinance et aux forages en Afrique, des golfs à l’énergie Quel est le fil directeur de tous ces métiers? Eric Duval: Le groupe s’est construit autour de l’humain. Autour d’aventures humaines. Et puis nous sommes une ETI familiale. Ma fille est directrice générale, mon fils directeur général adjoint; ils vont prendre le relais. Cette transmission n’a de sens que lorsque vous adoptez une vision de long terme dans la création de valeur. J’ajoute que notre groupe s’est aussi construit sur l’envie et le plaisir.
Pauline Boucon Duval: Nous sommes présents dans vingt pays, mais nos 6000 collaborateurs sont surtout implantés dans toutes les régions françaises. Il y a 5400 ETI en France, 70% ont un actionnaire familial de référence, 20% minoritaire. Ces entreprises sont importantes pour le tissu économique des territoires. Elles le sont d’autant plus que leurs actionnaires investissent dans le long terme, à la différence des fonds.
- E;D.: Voilà pourquoi les trente ans du groupe sont une étape marquante. Elle souligne la résilience et la croissance continue de l’entreprise au fil des décennies, sa force et sa solidité.
Avoir une structure capitalistique 100% familiale, ce n’est donc pas un frein au développement? E. D.: Pas du tout! Le groupe a racheté Odalys en 2000, dont nous avons porté les capacités de 800 à 145000 lits. Puis nous avons racheté en 2009 la société UGolf exploitant alors 13 parcours de golf – aujourd’hui ce chiffre a été multiplié par 10 avec 120 golfs. Ce ne sont que deux exemples! En 2023, notre chiffre d’affaires a atteint un milliard d’euros…
Existe-t-il une méthode Duval? E. D.: Disons qu’il y a un process. Un process métiers, un process financier, un process RH, un process administratif et financier…
- P.B. D.: L’exigence dans l’exécution est un élément clé. Le groupe dispose de 1 000 structures juridiques différentes et pourtant, nos comptes sont consolidés chaque année mi-février. Par ailleurs, le groupe a su développer une culture d’entreprise autour de valeurs essentielles, et d’abord une fois de plus sur une vision de long terme. Cette ligne directrice se concrétise par une croissance constante, une pérennité de l’actionnariat et une grande agilité dans nos prises de décisions.
On le sait, la transmission est un moment délicat pour une ETI…
- E.D.: Le pacte Dutreil est un outil intelligent qui permet d’organiser la transmission. En assurant une pérennité dans la gestion. Et sans transformer l’entreprise pour la vendre.
- P.B. D.: Ce que mon père a fait est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît. Beaucoup de familles s’y sont cassé le nez. Dans la transmission, il y a trois protagonistes. D’abord, celui qui transmet doit mettre son ego de côté, surtout lorsqu’il est le fondateur. Ensuite, l’objet de la transmission, l’entreprise, doit être pensé comme transmissible. Enfin, celui ou ceux qui reçoivent doivent être capables d’affronter les enjeux de l’époque. Il y a trente ans, la délocalisation était le sujet majeur. Aujourd’hui, la société a de nouvelles préoccupations, notamment autour de l’environnement, de la décarbonation..
- E.D.: Pour moi, préparer la génération suivante était une évidence. Mon père était aussi entrepreneur et à quatre-vingt-dix ans, il n’avait toujours pas lâché le match. Mon rôle sera différent, peut-être davantage tourné vers le conseil, mais je ne veux pas faire le combat de trop. L’important, c’est que nos métiers soient intéressants pour mes enfants afin qu’ils aient envie de les développer. Un exemple: l’immobilier. Le secteur consomme beaucoup trop d’énergie. La remise à niveau de bâtiments, qui sont pour certains devenus des passoires thermiques, implique des milliards d’euros d’investissement. Il va falloir recréer de la valeur…
Arbitrer les métiers pour tenir compte du nouveau contexte, c’est imaginable? P. B. D.: Depuis 2017, un rapport de responsabilité sociale et environnementale. Nous étudions l’impact de nos activités, l’impact environnemental et sociétal. C’est crucial lorsqu’on adopte une vision de long terme. Et de fait, cette approche pourrait nous amener à arbitrer des métiers. Pourquoi ne passe développer dans les panneaux solaires photovoltaïques? Mon père a créé une entreprise pour la transmettre et nous aurons, avec mon frère, à cœur de la transmettre à notre tour. Dans notre éducation, il nous a toujours présenté le groupe comme un outil. La question est: comment l’utiliser au mieux? Notre raison d’être précise bien notre mission de « créer de la valeur au service du mieux-vivre et de la vitalité des territoires ». E. D.: Il faudra sans doute poursuivre la diversification des métiers. Connaissez-vous le principe du tabouret? Plus il a de pieds, plus il est stable…
- P.B. D.: Et puis nous devrons continuer à verdir notre patrimoine…
Justement, le groupe Duval est un acteur majeur de la gestion et de l’exploitation de golfs en France et en Europe. Or les golfs n’ont pas une bonne image à l’heure de la transition écologique…
Eric Duval, Pauline Boucon directrice Louis-Victor directeur général dirigent l’ETI Duval qui réalise d’euros… de chiffre d’affaires et 6500 personnes monde.
- P.B. D.: Tout le monde se réfère à un rapport des années 1990 sur la consommation d’eau des golfs! Mais en période de sécheresse, seuls les greens sont arrosés (avec de l’eau non potable), soit l’équivalent d’une pelouse d’un terrain de foot – avez-vous entendu qu’il fallait supprimer les stades? En revanche, s’il n’est plus arrosé, un green meurt en trois jours, ce qui signifie la fermeture du golf et la mise au chômage technique des employés. Soyons positifs. Les golfs sont de véritables poumons verts au milieu des villes, des puits de carbone naturel qui offrent un havre pour la biodiversité… Nous avons à cœur de trouver des solutions innovantes pour créer des golfs durables et accompagner la transition énergétique. Et cela passe par de nombreuses mesures que nous mettons en place au quotidien telles que l’utilisation raisonnée de la ressource en eau, la modernisation de nos installations d’arrosage, la création de bassin de stockage. Mais ce n’est pas tout, notre démarche passe aussi par des engagements écoresponsables autour de la limitation des produits phytosanitaires et la préservation de la biodiversité.
Votre raison d’être vous présente aussi comme un groupe familial « engagé ». Jusqu’où doit aller l’engagement d’une entreprise? E. D.: Vous savez, les gens ne s’engagent plus sur grand-chose. Une de nos forces est par exemple de tenir parole. Pauline parlait de l’exigence. C’est notre façon de réussir. Nous mettons tout en œuvre pour positionner la qualité au cœur de notre stratégie en nous adaptant, en trouvant des solutions sur mesure et en innovant dans tous nos projets.
Quant à la créativité, elle est inscrite dans notre ADN d’entrepreneur. On se doit de réinventer nos métiers et nos pratiques historiques, d’explorer de nouveaux territoires, de porter un regard critique et inventif sur notre quotidien, sur nos objectifs, sur nos trajectoires.
- P.B. D.: Jusqu’où doit aller l’engagement? Nous cherchons à faire au mieux partout. Mon père a très tôt tenu à féminiser les postes hiérarchiques. Nous avons ainsi accordé un congé de paternité avant même le vote de la loi. C’est aussi cela l’engagement dans l’entreprise.
« Nous mettons tout en œuvre pour positionner la qualité au cœur de notre stratégie en nous adaptant, en trouvant des solutions sur mesure et en innovant dans tous nos projets » ETI familiale Eric Duval, président, Pauline Boucon Duval, directrice générale, et Louis-Victor Duval, directeur général adjoint, dirigent l’ETI familiale Duval qui réalise 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires et emploie 6500 personnes dans le monde.