Challenges – Duval transforme la pierre en machine à cash

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Un puits au Sénégal. Une usine de tourteaux de riz au Cambodge. Un hôtel dans les Alpes. Un magasin Decathlon. Un golf à Biscarosse. Des bureaux à la Défense… Derrière cet inventaire à la Prévert, on trouve le patrimoine du Breton Eric Duval, l’un des promoteurs les plus puissants de France, et sans doute l’un des plus discrets. « Il a un côté touche-à-tout, mais il a aussi du flair et réussit dans tout ce qu’il entreprend », dit de lui André Yché, le président de CDC-Habitat, avec qui il construit des logements intermédiaires. « Il n’a rien du promoteur un peu conservateur, assure Ronan Le Moal, directeur général de Crédit mutuel Arkéa. Et nous l’accompagnons parce qu’il est un entrepreneur dans l’âme.

» Réacteur commercial C’est vrai qu’il est bien difficile de faire le lien entre son activité historique – les centres commerciaux low cost en régions, où il est numéro un français -, la gestion des golfs, où, avec Ugolf, il est aussi numéro un français, et les résidences vacances, où sa filiale Odalys est numéro deux européen. Le groupe exerce aussi une activité de capitaldéveloppement, confiée à sa fille Pauline, qui pilote une douzaine de start-up, dont Lydia, une application de paiement qui compte déjà 1 million d’utilisateurs. Eric Duval résume son aventure entrepreneuriale avec un sourire désarmant : « Avant, on me disait que je me dispersais. Ensuite on m’a expliqué que je me diversifiais. Maintenant, on reconnaît que j’innove. » Duval, c’est l’histoire d’un jeune promoteur rennais qui, à l’étroit dans le salon de son domicile, prend un bureau dans un centre d’affaires et finit par racheter tout le bâtiment. Il découvre ainsi que détenir des locaux professionnels peut être une bien meilleure affaire que de construire des maisons. « J’ai découvert des rentabilités de 15%! » se souvient-il, gourmand. Comme il n’a pas de gros moyens, il se lance dans la création de petits centres commerciaux dans des villes moyennes. Il en possède aujourd’hui 66! Sa recette n’a pas changé en vingt ans : infrastructure minimum et loyers réduits. « Nos locataires paient 100 euros par mètre carré et par an, plus 10 à 15 euros de charges, alors que les grands centres commerciaux peuvent louer leurs mètres carrés pour 500 euros par an, plus 150 euros de charges », explique Matthieu Gueugnier, directeur général de la division retail de Duval. Ces centres sont un peu le réacteur du groupe, et Eric Duval les conserve soigneusement en patrimoine. Immobilier intégré On le comprend : occupés à 98 % par des marques comme Stokomani, Tati, Decathlon ou Electro Depot, le rendement de certains centres est à deux chiffres, pour une mise minimale. Et contrairement aux grandes villes, ils ne connaissent ni impayés ni turnover. Alors que les experts dissertent sur les malheurs de la France périphérique, lui va inaugurer dans quelques semaines un retail park à Wittenheim, près de Mulhouse. Encaisser les loyers, gérer les besoins des clients, c’est, explique Laurent Dusollier, directeur général de la filiale Odalys, « une activité

L’Afrique, terre promise

Eric Duval est catholique. Il a été reçu en juin dernier par le Pape en audience privée et avoue avoir été « guidé vers l’Afrique par l’humanitaire ». Naturellement, ces projets (école, matériel médical, orphelinat) ont créé des liens. Et des réseaux. Chacune de ses visites en Côte-d’Ivoire, au Sénégal, au Cameroun et au Togo ressemble à un déplacement de chef d’Etat. Résultat : une dizaine d’Appart’hotels Odalys programmés dans des capitales d’Afrique de l’Ouest, 20 000 logements au Bénin, des centres administratifs, des bureaux, des équipements. Ils font du groupe le premier promoteur français en Afrique. Dans quelques mois, il livrera son premier gros projet, à Abidjan. La tour, qui aura vue sur le lac Ebrié, est presque entièrement louée.•

d’épicier, où chaque centime compte ». Pourquoi ne pas le faire pour d’autres ? Pour Eric Duval, « c’est couvrir toute la chaîne de valeur de l’immobilier. D’autres promoteurs, comme Nexity et Altarea-Cogedim, l’ont fait. » Le groupe a donc monté avec les institutionnels, et notamment des banques régionales, comme le Crédit agricole et la Caisse d’épargne, des fonds spécialisés. Ils permettent à ces banques de satisfaire aux exigences de rentabilité de leurs fonds propres, tout en contentant leurs sociétaires, qui réclament davantage d’investissements locaux. Début 2000, le groupe se lance aussi dans la gestion immobilière pour compte de tiers avec sa filiale Yxime. Elle gère aujourd’hui 7 millions de mètres carrés, pour une valeur de 20 milliards d’euros. Elle accompagne de grands institutionnels français et étrangers et s’occupe, entre autres, de l’immeuble du Parlement européen à Bruxelles. « Activité d’épicier » toujours avec le spécialiste des résidences de vacances Odalys. En 2002, ce groupe n’est pas au mieux de sa forme, avec seulement 8000 lits et des résultats calamiteux. Pourtant, Eric Duval flaire son potentiel. Il reprend l’affaire mais impose son rythme : une résidence ouverte chaque mois. Aujourd’hui, Odalys affiche 130 000 lits dans plus de 400 résidences, et 250 millions d’euros de chiffres d’affaires. Le groupe regarde désormais vers le sud, en Espagne et au Portugal, et se développe en Afrique de l’Ouest (lire encadré ci-contre). En revanche, la piste chinoise est en sommeil : l’accord avec le groupe familial Hywin a été signé juste avant que Pékin ne contingente les investissements vers l’étranger… Bond sportif « Activité d’épicier », enfin, avec le golf. Si le groupe est devenu le premier gestionnaire de parcours en France, ce n’est pas par passion, Eric Duval étant sans doute le seul propriétaire de golfs à ne pas savoir putter sur les greens. « J’ai repris un peu par hasard les actifs de NGF, qui possédait une douzaine de golfs, reconnaît-il. Et j’ai découvert une organisation qui n’était pas à la hauteur. » Il améliore les club-houses, dynamise les ventes et crée une centrale d’achat pour serrer les coûts : l’activité passe dans le vert et affiche 10 % de rentabilité opérationnelle. Il possède désormais 54 parcours, en France et en Espagne, et propose aux adhérents un accès automatique au réseau Ugolf, soit 700 terrains dans le monde. Le groupe se paie même le luxe de gérer certains greens du ClubMed et d’AccorHotels à l’étranger. Et lorgne les contrats d’une cinquantaine de golfs municipaux français. De quoi faire bondir sa fortune professionnelle, évaluée à 1,5 milliard d’euros. En 2009, lors de son entrée dans le classement de Challenges, elle était de 60 millions.

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