Jeune Afrique : Les (discrètes) ambitions du groupe familial Duval en Afrique

J

Promotion immobilière, géotechnique, microfinance… En quatre ans, le groupe français a multiplié les défis sur le continent. Pour Jeune Afrique, les membres de la famille aux commandes dévoilent leur stratégie et leurs nouvelles ambitions. Rencontre.

Pas de grosses lettres dorées, d’enseigne lumineuse ou d’open space derrière une baie vitrée donnant sur la rue. Sur l’avenue Georges-Mandel, dans le XVIe arrondissement de Paris, une simple plaque distingue le siège d’une des plus florissantes entreprises immobilières de France.

À l’intérieur nous attendent les trois membres de la famille Duval qui la dirigent. Le père, Éric, président et fondateur en 1994 du groupe qui porte son nom, la fille, Pauline Boucon Duval, directrice générale depuis 2012, et le benjamin, Louis-Victor, directeur général adjoint depuis 2022. Ils sont accompagnés de Pierre Carpentier, un ancien d’I&P, qui assure depuis 2018 la fonction de directeur général Afrique.

Promotion immobilière, conseil, fonds d’investissement, résidences touristiques, golfs… L’entreprise, qui s’apprête à fêter ses trente ans, a su se diversifier jusqu’à atteindre, en 2022, un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros – lequel devrait être dépassé en 2023, assurent nos interlocuteurs.

Déclic

L’Afrique, où le holding est présent dans des secteurs aussi divers que la microfinance, la production d’huile de coco bio, les forages ou la promotion immobilière, représente une part non négligeable de l’activité : plus de 100 millions d’euros de chiffres d’affaires y ont été réalisés en 2023, comprend-on entre les lignes. Pour les trois uniques actionnaires familiaux, le continent a d’abord été le terrain de missions humanitaires, de voyages et d’amitiés. « Les gens nous disaient tout le temps : “Quand est-ce que vous venez investir en Afrique ?” Et puis un jour, il y a eu un déclic et on a commencé », se souvient Éric Duval.

Le groupe lance alors des projets immobiliers en Côte d’Ivoire – notamment la tour Sama, « inaugurée il y a un an et désormais occupée à 100 % » –, au Cameroun, au Togo ou au Rwanda. À Sao Tomé – dont Éric Duval est consul honoraire en France, un mandat sur lequel il ne souhaite pas communiquer, car il l’exerce à titre privé – est inaugurée, fin 2017, l’usine Valudo qui produit de l’huile de coco certifiée bio et commerce équitable, et que le groupe rachète à Finadev, une société de microfinance opérant en Guinée.

Si le développement est lancé depuis lors « sur fonds propres », il a connu une belle accélération en 2023, avec l’intégration de six nouvelles filiales (trois compagnies d’assurance et trois établissements de microfinance) dans son réseau financier Finafrica, portant à dix le total des filiales du groupe Duval. Cette entité constitue désormais le principal pôle de développement du groupe sur le continent. Il a également lancé, avec le groupe Arno, l’exploitation de magasins sous franchise But et Intermarché au Cameroun.

Pour Jeune Afrique, le quatuor décrypte les atouts qui ont permis ce développement.

1- Famille et pool d’experts

Comment un groupe initialement dédié à la promotion immobilière a-t-il atterri dans la microfinance africaine ? La question fait sourire Pauline Boucon Duval. « À chaque fois qu’on s’est lancés dans un nouveau métier, on nous a dit ça. En 2000, quand on a racheté les résidences touristiques Odalys, c’était déjà le cas. Mais on sait s’entourer d’experts et mettre en place des process pour développer les métiers qui nous plaisent », assure-t-elle.

Si les trois membres de la famille ont chacun leurs domaines de prédilection (le patrimoine immobilier en France et en Europe, le golf, la communication, les RH et la RSE pour Pauline ; la promotion immobilière en France, l’Afrique et l’Asie pour Louis-Victor ; le tourisme pour Éric), « la force d’un groupe familial à trois actionnaires, c’est que toutes les décisions stratégiques, on les prend ensemble », poursuit la directrice générale du groupe, tandis que son père assure que les Duval sont « ensemble pour tous les déplacements en Afrique, » plusieurs jours par mois en moyenne.

Ils s’entourent aussi, au sein de chacune de leurs filiales, de partenaires locaux dans leurs différents métiers. « Les patrons de filiale, entre autres, ont tous une participation dans les structures qu’ils déploient, et c’est légitime », assure Éric Duval.

Un comité stratégique a également été mis en place pour accompagner le développement du groupe sur le continent. Il comprend, notamment, Stéphanie Rivoal – ancienne ambassadrice de France en Ouganda, qui siège aujourd’hui au conseil de surveillance de Meridiam et au conseil d’administration de Colas SA –, l’ancien ministre ivoirien Thierry Tanoh, le Suisse d’origine camerounaise Roger Kamgaing (Africa Smarts Today) ou encore Wilfrid Lauriano do Rego, associé chez Stork Partners. « Ces personnalités ont pour rôle de nous challenger, d’élever la discussion », commente Éric Duval.

2- Des acquisitions ciblées

Dans la microfinance en particulier, le groupe a fait le choix de procéder via des acquisitions de groupes existants. Mais pas n’importe lesquels. « Nous ciblons des entreprises qui ont des fondamentaux solides, qui ont déjà des process, une équipe, un savoir-faire et qui ont envie de changer d’échelle », résume Pierre Carpentier, le directeur général Afrique.

Si Finafrica insiste sur sa volonté de « ne pas faire de retournement », Pierre Carpentier relève l’exception du Sénégal, où le Crédit solidaire Afrique (CSA) avait été placé sous administration provisoire par l’État à la suite de problèmes de gouvernance. C’est à la demande de Dakar – toujours actionnaire de la société – que le groupe est intervenu. « On a réussi à détricoter les nœuds et à trouver un accord, et c’est la première sortie d’administration provisoire d’une d’institution de microfinance par le haut », se félicite Pierre Carpentier. Celui-ci assure qu’il est désormais plus facile pour le groupe de s’agrandir, car les sollicitations se font plus nombreuses. « Ce n’était pas évident au début de proposer aux institutions d’intégrer un réseau qui n’était pas encore construit. Maintenant, ce sont les partenaires potentiels qui viennent à nous » , relate-t-il.

3- Stabilité managériale

Corollaire de ce choix de conserver les fondamentaux de l’entreprise, Finafrica privilégie le travail avec les équipes en place au moment du rachat. « L’actif principal des sociétés de services, c’est l’humain », rappelle ainsi Pierre Carpentier, qui assure qu’ « aucun management n’a changé de manière significative du fait de l’arrivée du groupe Duval ». Le groupe l’assure, les méthodes de travail peuvent d’ailleurs être une raison de no go à un projet d’acquisition, aussi bons que soient les fondamentaux économiques de la société étudiée.

Et si l’arrivée du groupe dans des institutions de microfinance passe toujours par l’acquisition de la majorité des parts, « dans la mesure du possible, on s’associe avec les actionnaires existants », assure le directeur de la filiale, qui signale une exception en Guinée, où le fonds Emerging Capital Partners (ECP) désirait se retirer purement et simplement. « Nous avons des cas très intéressants [comme avec l’institution de microfinance UFC au Rwanda et la compagnie d’assurances GMC au Cameroun, NDLR], où la structure originelle était mutualiste. Ils ont souhaité s’associer à nous pour grandir, tout en restant à bord, et cela s’est transformé en sociétés anonymes comportant 10 000 actionnaires ! », relève-t-il.

4- Des synergies diverses

L’une des particularités de Finafrica, selon son directeur général, est de proposer cette double spécialité microfinance et assurance. « Nous ne faisons pas que de la micro-assurance, qui propose de tout petits produits pour des besoins parfois très ponctuels. Nous avons envie de vendre de l’assurance, notamment de l’assurance santé, à des gens supposés non solvables par le secteur », développe-t-il, arguant de synergies à mettre en œuvre, notamment parce qu’ « en assurant un client, on le dérisque, et on va donc lui faire bénéficier en contrepartie de taux préférentiels ».

Le premier axe de développement de Finafrica sera donc de compléter son dispositif pour s’assurer que chacune des deux branches est présente dans l’ensemble des pays du réseau. « C’est déjà le cas au Cameroun, au Sénégal et au Rwanda [où le groupe a aussi mis un pied dans l’assurance-vie, NDLR]. Mais il nous manque les services d’assurances en Côte d’Ivoire et en Guinée », poursuit Pierre Carpentier.

De son côté, Louis-Victor Duval met en avant les synergies possibles dans le secteur immobilier – dans lequel le groupe est à la fois investisseur et gestionnaire du patrimoine ainsi construit, généralement mixte, avec des bureaux, des commerces, des logements… La marque Odalys, par exemple, sera présente avec des appart’hôtels dans deux des complexes en cours de réalisation, au Rwanda (95 chambres en développement) et en Côte d’Ivoire (132 chambres en développement), avec des ouvertures prévues « dans moins de deux ans », en attendant d’autres projets.

Des synergies sont aussi mises en avant avec le soutien de la fondation Duval aux formations dispensées par le centre technique Don Orione de Bonoua, en Côte d’Ivoire, et les activités immobilières du groupe (« 400 millions d’euros d’opérations en cours de développement sur le continent »).  « Cette école constituait un premier ballon d’essai. Maintenant que ça fonctionne, on va le dupliquer », explique Éric Duval.

5- Dupliquer sans standardiser

L’idée de duplication des schémas est souvent citée dans la stratégie de développement du groupe. Le programme de logements abordables de Diobass au Sénégal, par exemple, qui comporte plus de 6500 unités dont plus de 700 ont déjà été livrées, constitue par exemple « une opération-type », à développer « dans plusieurs pays d’Afrique, en commençant par ceux où on est déjà implantés, comme la Côte d’Ivoire, le Cameroun et le Rwanda », détaille Louis-Victor Duval.

Après le Cameroun, le groupe planche aussi sur un « programme d’expansion rapide » des magasins But et Intermarché, notamment au Togo, au Rwanda, en Côte d’Ivoire et au Sénégal. Avec un gros volet logistique à développer, alors qu’au Cameroun, Duval avait pu s’appuyer sur la logistique de son partenaire, le groupe Arno. « Ailleurs, il faudra mettre en place ce dispositif qui est essentiel dans ce métier », indique Pierre Carpentier. Aucun calendrier n’a été communiqué. « Pour l’instant, on apprend, on ajuste le modèle et on développera quand on sera prêts à le faire », poursuit le directeur Afrique du groupe. L’arrivée d’Intermarché au Cameroun est pour l’instant restée discrète, dans un marché encore largement dominé par l’informel et où CFAO (Carrefour et Supeco), Mim (Super U) et Casino (Bao) mènent la danse parmi les supermarchés.

Mais pour Finafrica notamment, « l’idée n’est pas de standardiser directement tous les modèles », prévient Pierre Carpentier – même si toutes les filiales rachetées par le groupe sont appelées à être rebrandées en Finafrica Finances et Finafrica Assurance. « PAMF, en Côte d’Ivoire, est spécialisé dans la finance agricole. Tant mieux, il nous apporte de la valeur pour toutes nos autres entités. De même, Focep, au Cameroun, englobe aussi des projets proches de la mezzofinance. Ces différences doivent nous enrichir », argumente le dirigeant, qui évoque plus une convergence en douceur des modèles.

6- Miser sur la technologie

Le groupe, qui a mis en place une structure d’investissement pour prendre des participations minoritaires dans des sociétés en phase d’amorçage, n’oublie pas la technologie.

Des outils de pointe sont notamment employés par sa société Fondations et forages d’Afrique, devenue spécialiste de la géotechnique sur le continent, où elle déploie notamment des méthodes d’analyse du sol par vibrations. De même, « pour la captation d’eau, notre technologie nous permet de descendre à plus de 500 m », tandis que des bornes solaires ont été installées par le groupe, qui s’est développé dans l’adduction – « mais pas la distribution », souligne Éric Duval. La société « a augmenté son chiffre d’affaires de 50% cette année, à 10 millions d’euros environ », précise Pierre Carpentier.

7- Viser « l’impact »

Tout au long de l’entretien, les trois membres de la famille Duval insistent sur certains mots-clés : impact, long terme, valeurs. « C’est l’ADN familial : on a envie que les nouvelles générations aient de quoi se nourrir convenablement », soutient Pauline Boucon Duval.

Un enjeu que Pierre Carpentier développe : « La santé, l’agriculture, par exemple, sont forcément des priorités : on s’intéresse à des secteurs à enjeu très fort en termes d’impact, en essayant aussi évidemment d’y trouver un modèle économique qui fonctionne. » Il s’agit là d’une condition sine qua non, alors qu’Éric Duval apparaît à la 64e place du classement des fortunes de France du magazine Challenges, qui évalue ses actifs à 1,9 milliard d’euros – tout en précisant que l’intéressé « conteste cette estimation et ne souhaite pas paraître [dans ce classement] ».

Une gestion prudente des déconvenues

L’expansion du groupe Duval à vitesse grand V ne s’est pas faite sans quelques couacs. Ainsi, il avait mis un pied dans la finance classique grâce à l’acquisition, en mai 2019, de 51 % des parts de la Banque de développement des Comores, mais il s’en est retiré quelques mois plus tard. En cause ? Un « désalignement d’intérêt avec l’État », avait confié Éric Duval à Jeune Afrique en novembre 2020. Un épisode dont il souhaite aujourd’hui tourner la page.

De même, la prise de participation, en 2019, de 18 % dans Africa Global Recycling (AGR), une PME togolaise spécialisée dans la gestion des déchets, s’est soldée par un conflit entre coactionnaires. « Cela a été une vraie déception, car nous croyions au projet en termes d’impact », confie Pierre Carpentier.

About the author

Erwan Botquelen
By Erwan Botquelen